L’espoir d’une amélioration des relations entre la Russie et les États-Unis s’est aujourd’hui évaporé à la suite du vote du Congrès américain sur de nouvelles sanctions et des mesures de rétorsion prises par le gouvernement russe. Le congrès américain a donc voté très majoritairement en faveur de nouvelles sanctions contre la Russie (419 voix contre 435) et la Russie a ordonné aux États-Unis de réduire drastiquement son personnel diplomatique de 455 diplomates d’ici le 1er septembre. Le taux de change du rouble est revenu au niveau de 60 roubles pour 1$, mais jusqu’à présent, cela n’a pas perturbé la reprise économique de la Russie. Le taux de change du rouble était resté indifférent à la contraction du prix du pétrole en mai et avait même bénéficié de la faiblesse des autres monnaies et ce jusqu’à ce que la nouvelle vague de tension géopolitique ait émergé.
Cependant, le marché russe n’a pas réagi jusqu’à présent à la reprise des prix du pétrole, qui ont récemment dépassé les 50 $ par baril. Le taux de change du rouble va donc rester sous pression. Après plus de six mois de la présidence de Donald Trump, il est clair que les sanctions existantes resteront plus longues que prévu, alors que les chances de nouvelles sanctions vont augmenter. La possibilité du rétablissement d’un dialogue entre la Russie et les États-Unis diminue rapidement. Le nombre des causes de frictions semble même se développer et le Venezuela est maintenant inclus dans un nombre croissant de points de confrontation allant de la Syrie à l’Ukraine.
L’économie russe en voie d’amélioration
L’économie de la Russie a montré de forts signes d’amélioration au cours du premier semestre 2017. Dans une certaine mesure, bien entendu, cela est dû à la stabilisation des prix du pétrole autour de 50 USD par baril. Mais les prix du pétrole pour importants qu’ils aient été, n’ont pas été le seul facteur qui de la croissance économique de la Russie. Le commerce de détail a augmenté de 1,2% par rapport à l’année précédente en juin, soit légèrement mieux que ce qui était attendu par consensus des économistes (1,1%) et a continué de croître en juillet (1,3% en glissement). Les salaires réels ont, quant à eux, continué à s’améliorer, ce qui est lié à la chute très rapide de l’inflation qui est tombé en quelques mois de 12% à 4% -4,5% par an. La croissance de la production industrielle a été imitée par la croissance de la construction, ce qui pourrait annoncer la fin de la crise dans ce secteur. Quant au chômage, il s’est réduit à 5,1% de la population active à la fin du premier semestre.
Source: Données de ROSSTAT
La forte croissance de l’investissement de 2,4% en glissement au premier trimestre de 2017 se poursuivra probablement pour la seconde. Il faut cependant savoir que les trois plus grandes activités d’investissement observables sont l’extraction (qui représente 31% de l’investissement), la fabrication (18%) et le transport (17%). Ce dernier secteur a connu une croissance impressionnante de 21,7% en glissement au 1er trimestre 2017. Par contre, le secteur de l’extraction a enregistré une augmentation plus modeste de 1,5% en glissement, tandis que l’investissement lié à la fabrication a plongé de 6,7% en glissement. Trois régions ont produit l’ensemble de la croissance de l’investissement: la ville de Moscou, la Crimée et l’Extrême-Orient. Dans les trois régions, il existe de grands projets, qui sont généralement soutenus par l’État, et qui se sont concentrés sur la construction d’infrastructures de transport. Ceci correspond bien à la croissance rapide affichée par le transport dans la désagrégation sectorielle de l’investissement. Ainsi, l’un des principaux moteurs de la croissance de l’investissement en Crimée est la construction du pont de Kerch, qui reliera la péninsule de Crimée au reste du territoire de la Russie. L’achèvement de ce pont est prévu pour la fin de 2018 à un coût de 228 milliards de roubles, dont 113 milliards ont été dépensés à la fin de 2016. De même, l’augmentation de l’investissement en Extrême-Orient est principalement liée à la construction de pipelines allant vers la Chine. Le projet « Power of Siberia » devrait être finalisé d’ici 2019. D’ailleurs, près de la moitié, soit 1 300 km, du réseau prévu de 3 000 km a été construit à la date de juin 2017. Le coût de ce projet est de l’ordre de 1,5-2,0 trillions de roubles soit, au taux de change de 70 roubles pour 1 euro de 21 à 28 milliards d’euros. À la différence des projets du pont de Kerch et « Power of Siberia », mis en place pour 2019, le programme de rénovation de la ville de Moscou vient quant à lui de commencer. Selon Sergey Sobyanin, le maire de Moscou, le programme s’étendra sur près de 15 ans avant d’être achevé. Ce programme affectera 1-1,6 millions de personnes (soit 10 à 15% de la population de Moscou) pour un coût total de l’ordre de 3 trillions de roubles (soit 43 milliards d’euros). On s’attend à ce que 35 à 45 millions de mètres carrés puissent être construits pendant cette période (près de 3,5 millions de mètres carrés par an), ce qui entraînera une augmentation substantielle de la construction actuelle de la propriété résidentielle à Moscou, qui se situe à 3-4 millions de mètres carrés par an. On pourrait s’attendre à une croissance de la construction résidentielle à Moscou à partir de 2018, après l’élection présidentielle
La croissance économique plus forte que prévu a malheureusement coïncidé avec un compte courant plus faible que prévu au 1er semestre 2017. La croissance des importations a atteint 27% en glissement au premier semestre 2017, dont 26% (en glissement) au 1er trimestre et 29% au 2ème trimestre. Ceci indique une reprise durable des importations pour 2017. Cela était à prévoir du fait de l’accroissement de la consommation et de l’augmentation de l’investissement. En outre, les paiements actuels des entreprises russes à l’étranger au 2ème trimestre 2017 sont nettement supérieurs aux attentes. Ces paiements ont été la raison principale pour pousser le compte courant vers un déficit de 0,3 milliard de dollars au 2ème trimestre.
Vers la création d’une alliance anti-américaine?
Dans ce contexte, il convient de noter l’activité grandissante de la diplomatie russe. Cela pourrait être attribué à l’amélioration des relations économiques, mais cela pourrait également être attribué à la tendance à la détérioration des relations diplomatiques et militaires avec Washington. Au sommet de cette activité, on a naturellement la crise du Moyen-Orient et des progrès évidents réalisés par les forces gouvernementales syriennes soutenues par l’aviation russe les dernières semaines. Mais, cette activité prend désormais d’autres dimensions. Moscou a décidé de donner un signal spectaculaire de soutien au gouvernement vénézuélien. Le plus grand producteur pétrolier russe, Rosneft, a déclaré il y a quelques jours qu’il avait versé environ 6 milliards de dollars en prépaiements à la société pétrolière d’État vénézuélienne PDVSA. Cela est venu au bon moment. Les paris des différents acteurs tant financiers que politiques sur un défaut de paiement du Venezuela s’étaient généralisés en raison de la tourmente politique dans ce pays, tourmente qui se complique de plus avec une chute des prix brut et une baisse de la production.
Le prépaiement effectué par Rosneft à PDVSA pourrait résoudre la crise de la dette que le gouvernement vénézuélien affronte actuellement. Rosneft s’attend à ce que le remboursement final soit effectué dans les livraisons de pétrole et de produits pétroliers.
Ce point est très important car il implique qu’une plus grande part de la production vénézuélienne pourrait être détournée vers la Russie et ne pas aller vers les raffineries américaines, qui constituent aujourd’hui le principal débouché de la production vénézuélienne. Ce soutien n’est pas pour surprendre. Tout d’abord, les relations avec les États-Unis allant de pire à pire, on s’attend à ce que Moscou augmente son engagement envers le Venezuela, ne serait-ce seulement que pour embarrasser le gouvernement américain et pour créer ce qu’on appelle un instrument négociation ou un « bargaining chip ». Mais, et cela est probablement plus important, il faut considérer le fait que ce soutien vient de Rosneft. Cette société occupe une place particulière dans la diplomatie pétrolière de la Russie, mais elle a aussi sa propre diplomatie.
Cela montre bien les liens solides que certaines personnes en Russie, et notamment M. Sechin, ont créé en Amérique latine et plus particulièrement avec les dirigeants Chavistes. Ce n’est pas seulement de l’idéologie, même si cette dernière compte. La Russie, et précisément Rosneft, trouve également ses intérêts dans cette politique. La société PDVSA, qui est – il faut le rappeler – une société d’État du Venezuela a réduit les ventes de pétrole brut à son unité de raffinage des États-Unis, la Citgo Petroleum, tout en augmentant l’offre pour Rosneft en Russie, et ce suite à un plan signé en mai pour rattraper les livraisons en retard, selon des documents de PDVSA et des sources de l’entreprise et de sa Joint-Venture. Actuellement, Rosneft détient une participation de 49,9% dans la société pétrolière américaine Citgo détenue par la PDVSA du Venezuela. La participation a été offerte en garantie lorsque PDVSA a obtenu un autre prêt de 1,5 milliard de dollars de la société russe l’année dernière
Le ministre vénézuélien du Pétrole, Nelson Martinez, lors du forum de Saint-Pétersbourg en juin dernier, a déclaré que Rosneft recevrait environ 70 000 barils par jour pour le versement d’un prêt de 1,5 milliard de dollars versé à PDVSA en 2016. En fait, Rosneft a investi beaucoup d’argent dans l’État vénézuélien et dans PDVSA. Maintenant, Rosneft s’engage à continuer de travailler dans le secteur énergétique du pays, et ce malgré l’aggravation de la crise politique et économique et les sanctions.
Un peu plus tôt ce mois-ci, le PDG de Rosneft, Igor Sechin, a déclaré que la compagnie augmenterait la coopération avec le Venezuela face à de nouvelles sanctions américaines et a donné à cela une bonne raison: «Les réserves d’hydrocarbures du pays sont les plus importantes au monde. Dans cette perspective, toute société d’énergie doit chercher à y travailler « [1]. Il est vrai que les réserves du Venezuela sont encore plus grandes que celles de l’Arabie saoudite. Mais, très clairement, ce n’est pas la seule raison, ni même la première. Le soutien accordé au Venezuela est évidemment politique. Ce pourrait être une sorte de « tit for tat » (« œil pour œil ») pour le soutien américain à l’Ukraine. Mais, plus probablement aussi, il faut y voir la matérialisation du renforcement d’un front anti-américain, front regroupant bien sûr la Chine et l’Iran mais incluant désormais de nouveaux alliés russes, dont les plus récents sont de nouveaux pays comme l’Indonésie (qui a récemment décidé d’acheter des avions de combat russes[2]) et les Philippines où des navires de guerre russe ont fait une visite d’amitié en janvier dernier[3] et dont le Président s’est rendu en mai 2017 pour demander une aide face à la menace de DAESH à Mindanao[4].
Notes
[1] https://www.rt.com/business/399066-rosneft-invest-venezuela-political-crisis/
[2] https://fr.sputniknews.com/defense/201708041032522346-su35-indonesie-russie/
[3] https://fr.sputniknews.com/international/201701061029475793-philippines-duterte-russie/
[4] https://fr.sputniknews.com/international/201705241031508950-philippines-russie-aide/
Cet article est initialement publié sur le blog de Jacques Sapir : http://russeurope.hypotheses.org
Qui est Jacques SAPIR ?
Ses travaux de chercheur se sont orientés dans trois dimensions, l’étude de l’économie russe et de la transition, l’analyse des crises financières et des recherches théoriques sur les institutions économiques et les interactions entre les comportements individuels. Il a poursuivi ses recherches à partir de 2000 sur les interactions entre les régimes de change, la structuration des systèmes financiers et les instabilités macroéconomiques. Depuis 2007 il s’est impliqué dans l’analyse de la crise financière actuelle, et en particulier dans la crise de la zone Euro.
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